Je me suis longtemps interrogé sur la passion de quelques
prêtres pour créer des sous-marins, et plus particulièrement deux sous-marins m'ayant servi de modèles.
Un sous-marin "grandeur", construit en 1879 et disparu en mer en 1880,
créé par un pasteur anglais, le révérent George
W Garrett.
G. W. Garrett
crédit : http://members.aol.com/marknewell/
La maquette navigante du "Nautilus" de Jules Verne construit par John
Dutton pasteur fondamentaliste australien (aujourd'hui directeur laïc
d'un établissement d'aide aux jeunes en difficulté).
Le Nautilus de J Dutton
crédit : John Dutton
Que ces prêtres construisent des sous-marins, à taille
humaine ou maquette navigante, a de quoi surprendre. Dans notre imaginaire
les engins subaquatiques sont considérés comme des machines
bourrées de technique et de rationalité, sans aucune relation
avec l'esprit et le divin. Surtout pas devrions nous dire ! Comment alors
expliquer cet engouement, conscient ou inconscient, de nos hommes d'Eglise
?
Une première piste me fut donnée par le nom du sous-marin
britannique disparu en 1880 et renfloué en 1995, un drole
de nom : "Resurgam" ("Résurrection" en français).
Le Resurgam en 1879
crédit : http://members.aol.com/marknewell/
Je rassemble les éléments en ma possession : un prêtre,
un sous-marin, de l'eau bien sûr, une renaissance et... ma formation
à la préparation des baptêmes des petits enfants qui
fit l'amalgame du reste.
Le puissant "écho" du sous-marin dans certains inconscients s'expliquerait
par la relation qui lie le sous-marin au sacrement fondamental du christianisme
: le baptême et son signe principal l'eau.
Expliquer le sens du baptême nous aidera à mieux apprécier
l'attractivité pour notre imaginaire du sous-marin, ou, si on est
pas chrétien, ou ayant perdu toute culture chrétienne, peut-on
au moins l'imaginer dans l'inconscient de nos deux prêtres. C'est
ce que je vais m'efforcer de démontrer plus loin mais, soyons objectif,
il existe d'autres explications que chrétienne, toutes respectables,
et je commencerai par elles. Ces éclairages sont d'ailleurs majoritairement
proches du sens chrétien, renforcent souvent ses signes, rarement
s'en écartent.
I - L'eau hors du baptême
On connaît l'explication psychanalytique du sous-marin et de son
élément : le sous-marin serait une matrice, voire l'homme
en devenir et la mer le liquide amniotique. Les premiers instants de la
vie se passent dans l'eau, dans le ventre de la mère ; pendant neuf
mois, le foetus se développe dans l'apesanteur du liquide amniotique,
sa première demeure. De cette appartenance originelle dans l'eau
maternelle naîtra le sentiment océanique de la vie (S. Freud,
1929) qui constitue notre archaïque mémoire. Revivons-nous
ces instants en nous reconnaissant "dans" ou "comme" un sous-marin ?
On peut évoquer également la mythologie. Dans la plupart
des mythes fondateurs ou encore dans la majorité des récits
initiatiques, le héros doit, pour prouver sa valeur, affronter et
triompher des quatre éléments : le feu, l'eau, l'air et la
terre.
Pour ne parler que de l'eau, on la retrouve comme élément
purificateur dans les mythes fondateurs.
Elle peut servir à laver le héros physiquement et psychiquement
de son ancien " moi " impur. Le héros peut aussi être rendu
immortel en étant plongé dans l'eau (cf. le mythe d'Achille).
Parfois même le héros doit traverser une étendue d'eau
pour prouver sa valeur (cf Ulysse dans l'Odyssée).
Remplaçons à chaque fois "héros" par "sous-marin"
et un nouvel éclairage sur notre objet se révèle.
La psychanalyse, la mythologie, l'histoire et la science aussi nous
enseignent l'omniprésence de l'eau. Rappelons que les grandes civilisations
et les grandes villes se sont édifiées sur l'eau et ont souvent
été anéanties par son abondance ou par son manque.
Ces civilisations reconnaissaient en dépendre et l'intégraient
à leurs mythes. En Inde, les populations vénèrent
les eaux du Gange depuis des millénaires, tout comme le Nil qui
fut déifié par la religion égyptienne. Sans eau, la
vie ne serait pas apparue sur Terre. Lorsque les scientifiques s'interrogent
sur la vie extraterrestre ils recherchent d'abord la présence de
l'eau.
L'eau nous attire et nous inquiète ; souvent d'une manière
inconsciente. En effet, l'eau n'est pas seulement la base de la vie, mais
aussi le lien qui relie notre planète aux autres univers. Le Soleil
et la Lune, satellite de la Terre, agissent ensemble pour créer
le flux et le reflux des marées. De même, la gravité
terrestre fait que l'eau se dirige vers les mers et les océans dans
un perpétuel mouvement : notre corps est directement uni à
l'eau et à l'univers. Malgré nos mutations culturelles, la
notion d'eau sacrée reste inscrite au plus profond de l'être
humain.
Tous ces exemples et analyses au gré de nos sensibilités
démontrent l'importance attribuée à l'eau. Et le sous-marin
dans tout cela ? A l'évidence, le fait d'avoir une machine qui navigue
et qui baigne littéralement dans cet élément si riche
de sens ne peut qu'avoir une forte "résonance" en nous-mêmes.
Et si, comme nos deux pasteurs nous sommes chrétiens, pourquoi nous
étonner si notre cerveau nous fait considérer le submersible
comme la métaphore du chrétien, celui qui, sortant du fond
de l'eau baptisé, naît à une nouvelle vie (resurgam).
II - L'eau dans le baptême
On ne peut respirer dans l'eau. On y meurt. Pour vivre il faut vite
en sortir. L'eau est symbole de vie mais évoquer l'eau c'est aussi
rappeler comme le fait la Bible, l'autre face de l'élément
liquide : la mort avec le déluge, les tempêtes, les naufrages.
Deux exemples. Dans l'Ancien Testament, lorsque Dieu veut punir les hommes
ou effacer sa création qu'il juge mauvaise, c'est le déluge.
Mais lorsqu'il veut sauver l'homme de la noyade il écarte l'eau
devant les Hébreux en fuite.
Vie et mort, dans ce dualisme de l'eau, le symbolisme de la vie l'emporte
toujours. Et spécifiquement dans les Evangiles. L'eau qui purifie,
l'eau qui sanctifie, l'eau qui chasse les démons, l'eau qui donne
une vie nouvelle. Le baptême, symbole de purification et de regénérescence,
le christianisme l'affirme pleinement avec son sacrement fondateur.
Ce que je retiens le plus dans le baptême chrétien c'est
le cheminement vers cette vie nouvelle affirmée par les Evangiles,
autrement dit le "signe du passage", le passage à la vie. Que ce
soit le voyage depuis la surface vers le centre de l'eau, ou à l'inverse
du fond de l'eau (si sombre et dangereuse) vers la lumière et la
vie, tout est passage pour un sous-marin. Dans les premiers baptêmes
le futur baptisé entrait en descendant quelques marches dans une
cuve baptismale, se baignait entièrement dans l'eau, et ressortait
à l'extrémité du bassin par d'autres marches, en homme
nouveau. La similitude avec la navigation du sous-marin est ici manifeste.
J'ai déjà eu l'occasion de m'expliquer sur le sous-marin
comme métaphore de la vie. Pour résumer, le sous-marin est
comme un enfant choyé, élevé avec soin par son père,
qui, devenu adulte, poussé par un géniteur conscient de ses
devoirs quoiqu'un peu inquiet, doit quitter le foyer pour vivre sa vie.
L'éducation (la construction du sous-marin) fut-elle réussie
? Une bonne navigation (la vie réussie) de ce métal devenu
machine (l'enfant devenu homme) nous le dira.
Ma dernière thèse renforce cette métaphore de la
vie humaine. Car, après la naissance charnelle, pour un chrétien,
la vraie vie, la vie vers Dieu et en Dieu, naît du baptême,
après l'immersion dans l'eau. Le parallèle est évident
avec un sous-marin qui reproduit à chaque instant de sa navigation
le signe du baptême.
Le sous-marin se mouvant dans l'eau nous dit, consciemment et inconsciemment,
toutes ces choses.
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Note
Marin Mersenne
(crédit www.ebabylone.com/encyclopedie_Mersenne.html)
On pourrait s'amuser à évoquer d'autres hommes d'église,
tous attirés par le sous-marin, mais ici peut-être plus comme
scientifiques que prêtres à une époque où le
savoir était réservé aux membres du clergé
:
1) Marin Mersenne, moine français de l'ordre des minimes (1588
- 1648). Selon quelques sources il aurait dessiné les plans du 1er
sous-marin jamais construit (le "XVII" lancé à Saint Malo
en 1641 par Jean Barrié ?) Ce sous-marin, vaisseau métallique
à rames, pouvait accueillir jusqu'à quatre personnes et était
muni d'un sas en cuir. Pour d'autres, il décrivit vers 1634 un sous-marin
pisciforme à coque métallique avec canons capables de tirer
sous l'eau. Il envisagea même la propulsion à vapeur...
2) L'Abbé (?) Borelli (1608-1678), qui inventa un sous-marin
dont la propulsion était assurée par des rames palmipèdes.
Projet de l'Abbé Borelli
(crédit codingrulz.free.fr/fichiers/hist1.htm)
La plongée était obtenue par la variation du volume de
sacs à eau communiquant avec la mer. Un levier de compression actionné
à bras agissait sur ces sacs.