CE SACRE NAUTILUS !

ou la représentation du sacré dans

l'iconographie du sous-marin de Jules Verne.

 

"Voici la mer, immense, à perte de vue. Tant d'êtres s'y meuvent, petits et grands, qu'on ne peut les compter.

Des navires la parcourent en tous sens, et aussi le dragon marin, le Léviathan""

La Bible. Psaumes 104 : 26

 

 

 

L'objectif de cette étude est d'analyser afin de mieux la comprendre notre attirance pour les sous-marins "à la Jules Verne". Ma théorie s'efforcera de démontrer que cette attirance repose sur le caractère sacré du Nautilus tel qu'il se déduit de la lecture des illustrations de "20 000 lieues sous les mers" et "de l'Ile mystérieuse". A mon sens, ce que nous présentent ces romans ce n'est pas tant une magnifique machine océanique qu'une église chrétienne. D'où notre sentiment particulier, notre attirance sans cesse renouvelée, pour de tels sous-marins.

 

La célébration récente du centenaire de la disparition de Jules Verne a été le prétexte de nombreuses études sur le romancier et son œuvre. Pour ma part j'ai été particulièrement impressionné par les analyses sur la nature christique du capitaine Nemo (voir Jean-Paul Debanne dans "Quel avenir pour l'humanité : le code caché des livres de Jules Verne" in http:// www.atoi2voir.com/ …) Nem'intéressant pas à son sous-marinier mais plutôt au sous-marin j'aimerai prolonger à mon tour cette réflexion sur la face implicite du Nautilus.

 

1) Le Nautilus dans ses détails

 

Si nous feuilletons les gravures des deux romans nous sommes frappés par l'opposition qui existe entre la représentation de l'extérieur et de l'intérieur du sous-marin. Autant l'extérieur nous parait étriqué, avec ses rambardes au raz des pieds, sa timonerie et son fanal ridicules, autant l'intérieur nous surprend par ses proportions majestueuses et gigantesques. Tout se passe comme si les illustrateurs avaient souhaité nous détourner au plus vite de la représentation formelle du sous-marin pour nous renvoyer vers l'essentiel, un au-dedans, telle une vision du fond des choses à "intérioriser". Et que nous montre cet intérieur si ce n'est une gigantesque demeure aux plafonds immenses et aux décors majestueux, soit l'archétype pour ce genre de bâtiment, une cathédrale d'acier ?

 

Parcourons les gravures pour y découvrir ces éléments qui nous renvoient au culte de l'église catholique. Afin de rendre l'exercice plus convaincant des images de vraies églises sont mélangées aux gravures des romans.

 

Nappe d'autel, autel, statuettes, ostensoir, encensoir, ciboire et burette, lustre, hauts murs et vitraux, à nous de retrouver, comme dans un jeu des 7 ressemblances, les objets du culte catholique.

 

"20 000 lieues" p . 100

"20 000 lieues" p . 161

 

 

http://saintephilomene.chez-alice.fr

 

 

de gauche à droite et de haut en bas : Ostensoir, calice, statue, aiguière.

 

 

Statues, tentures, aiguière, vases et coupes… Les tableaux religieux foisonnent, mais aussi dais, vasques, bannière suggérée, un orgue et même un bénitier. "Cette coquille, fournie par le plus grand des mollusques acéphales (…) dont l'église Saint-Sulpice, à Paris, a fait deux bénitiers gigantesques" ("20.000 lieues" p 112)

 

"20 000 lieues" p . 127

 

http://promoblog.skynetblogs.be

"20 000 lieues" p . 487

 

 

"20 000 lieues" p . 109

"Ile mystérieuse" p 799

 

Ci-contre à gauche : Gravure de Liénard (1785)

Ci-dessus : tableaux dans une église du Forez

 

"20 000 lieues" p . 444

Instrument typique dans une église : l'orgue. Ci-contre à gauche le capitaine Nemo en organiste.

 

 

D'autres statues et pourquoi pas aussi des fidèles recueillis, avec toujours ces énormes tableaux explicitement religieux sur les murs, se découvrent dans le salon du Nautilus

 

"Ile mystérieuse" p 811

Statue de Moïse par Michel Ange

 

Le capitaine Nemo joue le rôle d'un moïse barbu (ci-dessus) ou d'un gisant en pierre (ci-dessous)

 

"Ile mystérieuse" p 823

http://www2.unil.ch

 

Chapelle de l'Ecole Militaire

Le sacre de Saint Louis (Van Loo - 1773)

 

 

 

"20 000 lieues" p . 146

"20 000 lieues" p . 372

 

 

On ne peut évoquer le Nautilus sans parler de sa large fenêtre ouverte sur le monde des abysses avec ses monstres des mers, ses serpents. La Bible fait de nombreuses références au Léviathan un monstre marin évoqué dans la Bible au Livre de Job (3:8, 40:25)

 

 

"La destruction du Léviathan" par Gustave Doré

 

A l'intérieur de la nef : tentures, cordons, larges baies vitrées et ce rappel constant à la Bible avec un grand livre, tantôt ouvert tantôt fermé, au sol.

 

http://www.dinosoria.com

"20 000 lieues" p . 555

 

 

2) Le Nautilus dans sa globalité

 

"L'Ile Mystérieuse" p 798

Nous l'avons dit la représentation de l'extérieur du Nautilus est relativement pauvre et en tout cas décevante. A noter toutefois deux gravures explicites à la fin de "l'Ile Mystérieuse" qui nous présentent le sous-marin dans une crypte aux grands piliers de pierre tels les colonnes d'une immense église.

 

 

Ci-dessus les piliers de la cathédrale de Grenade

 

L'autre caractéristique de ces gravures est le rayon de lumière dirigé vers la voute de la grotte plus comme une action de grâce vers le Ciel que tel un projecteur éclairant un chemin.

 

 

La barque au premier plan quant à elle n'est pas sans évoquer le bateau des apôtres sur le lac de Tibériade.

 

http://cath-ge.ch

 

"L'Ile Mystérieuse" p 823

CONCLUSION :

 

En relisant mes notes je me fais deux observations.

 

Je comprends un peu mieux l'engouement des américains du Nord pour notre vieux sous-marin. Les Américains, d'une manière surprenante pour nous autres français laïques, sont à la fois imprégnés de culture biblique et de passion technologique. Hors le Nautilus de Jules Verne réunis ces deux aspects des choses et "parle" au yankee.

 

Mon interprétation d'un sous-marin sacré n'aura plus guère de sens pour nos enfants avec la disparition de l'imprégnation culturelle chrétienne qui fut celle de Jules Verne et pour une grande part encore celle de ma génération. Un ciboire, un ostensoir, c'est quoi papi, nous demanderons nos petits enfants ?… Peut-être que le dernier individu à apprécier mon analyse, sans toutefois totalement la comprendre puisque qu'évangéliste, sera un anglo-saxon.