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LE SYDROME DE LA PRINCESSE DE CLEVES

La Princesse de Clèves vous connaissez ? Ce roman nous narre l'histoire d'une femme mariée à un homme qu'elle n'aime pas : le Prince de Clèves. Elle tombe amoureuse du Duc de Nemours, mais leur amour serait illégitime, puisqu'elle est mariée. Afin d'éviter de le revoir elle se retire de la cour, et avoue sa passion à son mari. Celui-ci meurt de chagrin. Alors que cette héroïne a tout désormais pour être heureuse en épousaant l'homme qu'elle aime, elle décide de se retirer dans un couvent pour y mourir sans revoir son amoureux. Etrange quand même. Pourquoi volontairement disparaitre en refusant son bonheur ? Pourquoi ce sacrifice ?

En sacrifiant, en plusieurs occasions, mes sous-marins une fois les avoir péniblement et longuement créés, ne souffrais-je pas moi-même du "syndrôme de la Princesse de Clèves" ? Sabordage dans une rivière, abandon dans une fontaine ou libération au fil de l'eau d'une rivière, tel fut souvent le lot de mes créations. Pourquoi ne pas simplement profiter de mes engins en m'amusant avec eux au bord de l'eau ?


La première explication, la plus simple, je savais où la trouver. Mes engins subaquatiques étant d'inspiration vernienne, leur histoire était pleinement achevée en reproduisant la fin choisie par Jules Verne pour son Nautilus. Souvenez-vous du capitaine Nemo ouvrant les vannes de son sous-marin et mourant à son bord tout en jouant de l'orgue. Quelle fin magnifique ! Mais était-ce vraiment une fin ? Je prolongeai mon émerveillement en imaginant une suite au roman. Une ombre de mystère planait sur cette disparition. Où se trouvait le Nautilus ? Dans quel état ? Et si on le retrouvait un jour ? Quel plaisir de rechercher un trésor enfouis !
Ce schéma émotionnel qui émerveilla mes rêves d'enfant, je le reproduisais aujourd'hui d'une manière inconsciente.

Cette attitude était-elle pathologique où était-elle suffisamment répandue - partie intégrante de la nature humaine - pour ne pas m'en inquiéter ?

C'est en parcourant les "Annales du BAC" avec la lecture d'un corrigé sur cette question "la mort du personnage principal est-elle nécessaire à la fin du roman ?" que me vint la lumière. Ouf, je n'était pas frapadingue ! Nombre de romanciers ont choisis de faire mourir leur héro (pour moi : mes sous-marins) obéissant à des raisons positives que je vous résume maintenant.


1. La mort du héros principal à la fin d'un roman, peut être un moyen pour le romancier de préserver son personnage : sa mort évite toute altération et le fixe à tout jamais. Que serait Mme de Clèves si elle pouvait filer le parfait amour avec le duc de Nemours ? Le roman ne serait alors qu’un soap opera.
 
2. La mort peut aussi récompenser : à la fin de La Princesse de Clèves (encore elle !), l’attention est attirée sur son renoncement héroïque : « Et sa vie, qui fut assez courte, laissa des exemples de vertus inimitables ». Dans ces cas, le romancier finit son roman en moraliste comme une sorte d’apologue.

3. Elle permet de créer l’émotion par sa dramatisation. La mort satisfait le goût des lecteurs pour le pathétique.

4. La mort du héros a une fonction philosophique, existentielle et procure au lecteur la satisfaction d’assister en accéléré à un destin accompli, ce qui est impossible dans la vie. Elle donne la satisfaction de savoir la fin de ce qui est le mystère de notre vie. Une telle fin rappelle que la mort est l’ultime réponse, le dernier mystère inéluctable. Si la mort est inexpliquée, elle donne l’image de l’absurdité de la vie humaine. Ne pas faire mourir le personnage principal, c’est céder à la tentation d’un happy end, artificiel et non conforme à la réalité de la vie.

Et maintenant ? Maintenant je suis grand-père et j'ai décidé de ne plus m'inspirer de Jules Verne sacrifiant son capitaine Nemo et son Nautilus. Je garde désormais mes fabrications pour mes petits-enfants. C'est dur de vieillir ? Meuh, non, je passe simplement mon rêve à ma descendance, une forme de prolongation !